La pensée, c’est à dire la noèse, pour autant qu’elle est capable d’opérer dans l’exosomatisation des bifurcations, et non seulement des sélections artificielles, cette pensée qui bifurque va infiniment plus vite que toute technologie : il y a une performativité de la noèse, qui est aussi celle de l’art et de la politique comme réalisation de rêves.
La seule accélération qui, comme « véritable accélération », va plus vite que l’accélération « décervelée » qu’est la « ruée en avant » fondée sur la prolétarisation – c’est à dire sur l’anéantissement du savoir – est l’accélération infinie en quoi consiste tout savoir dans le champ qu’il enrichit de ses saveurs improbables, incomparables, incalculables et qui bifurquent ainsi – par delà l’entropie que provoquent les pharmaka exosomatiques, et comme organes de l’avenir néguanthropologique qu’ouvre ainsi la différance noétique. Engrammé dans les machines computationnelles qui étendent toujours plus loin l’automatisation à l’époque de l’économie des data, le savoir est devenu au XXIè siècle la première fonction de production du capitalisme industriel comme capital fixe ayant absorbé tout type de connaissance et de compétence sous forme de rétention tertiaire numérique 1. Le savoir ainsi amorti est mortifié : ce n’est plus du savoir vivant, mais de l’information calculable. La dénoétisation est cette prolétarisation totale. Comme capacité de bifurcation, le savoir vivant est essentiellement néguanthropique. Concrétisé et matérialisé comme capital fixe, le savoir amorti ne peut que s’assécher en se répétant indifféremment, perdant ainsi sa valeur : la puissance néguentropique qu’il était s’y dévalue comme impuissance entropique. Algorithmique et automatisé, le savoir amorti porte le nihilisme à son point de bascule, instaurant la misère entropique caractéristique de « l’information ». Le 21 août 2016 à 17:57, STIEGLER Bernard <[email protected]> a écrit : Chère Martine, Ce matin j'ai pris mon café en regardant le soleil sur les saules et les albizias, je me suis étonné comme souvent de vérifier encore cette sorte de miracle que l'on appelle le beau ou la beauté, et sa puissance si réconfortante - à propos de quoi cependant il faut lire le poème en prose de Baudelaire qui a pour titre Le confiteor de l'artiste. C'est un poème parfaitement caractéristique de l'épreuve qui commence avec et dans l'Anthropocène. La plupart de ceux que j'ai connus autrefois, il y a une trentaine d'année, et qui promettaient, c'est à dire : qui donnaient à espérer, la plupart d’entre eux sont devenus des consolés de l'art, qui n'est pourtant plus l'art du beau, comme on le découvrit avec stupeur, en 1916, à travers l'ubris de Tristan Tzara et Hugo Ball, au Cabaret Voltaire. "Le beau" ou "la beauté" cependant reste une énigme. Comme l’amitié, qui se porte si mal. Et ce sont les énigmes de ce qui, dans la localité, tend vers ce que nous avons donc appelé la méta-localité. J'ai passé une partie de ma vie à exercer la possibilité qu'a ou n’a pas la noèse de trouver en toute localité, même celle qui subsiste et insiste dans le non-lieu, une métalocalité, c'est à dire ce "beau" dont parle Aristote à propos du pouvoir de l'art - qui peut sublimer même le spectacle d’une charogne. Le beau est aussi l'énigme de Saint Léon, tué par moi cet hiver, notre paon qui se parait chaque printemps, mettant en jeu cette sélection sexuelle qui intriguait le Darwin de The descent of Man - Darwin qui, considérant les accoutrements de séduction masculins et féminins (sur lesquels Freud ouvrira d'amples perspectives, sans toutefois en prendre la mesure), frôlait l'énigme de l'exosomatisation du beau et, en retour, de la "beauté" de l'exosomatisation (de sa vitesse) qui fera le discours des Futuristes, qu'il faudrait relire avec les Accélérationnistes, et qui devinrent fascistes. Nous aurions pu d'ailleurs nous attarder sur les poètes Saint Pol Roux et Dominique Dou cette année, pour notre académie, et rouvrir ainsi, peut-être, un dialogue avec Michel Deguy, mais ce sera pour une autre fois. C'est la colère - la fureur - de vivre qu'apaise la beauté. Et c'est pourquoi Epineuil me fait tant de bien. La colère - plus ou moins transformée - anime tout ce que je fais. Je tente avec plus ou moins de succès de la transformer en bienveillance. Mais la transformer en bienveillance, cela ne doit pas signifier la dénier, ou la travestir, même si le travestissement est sans doute irréductible depuis ce que Darwin a commencé à considérer à travers les organes exosomatisés de la séduction. Ces tentatives échouent souvent, et c'est pourquoi ma colère - qui, loin de s'apaiser avec l'âge, comme c'est le cas des bonnes bouteilles, gonfle au point de me submerger - me rend souvent et pour beaucoup essentiellement désagréable, brutal, excessif, et, au bout du compte, infréquentable. C'est d'ailleurs ce que m'a dit un jour Jean Frémieux, dont je ne suis pas sûr cependant qu'alors il savait vraiement de quoi il parlait. Cela me fait de la peine, mais au fond, tout compte fait, comme on dit, comme dit Edith, "j'm'en fous" - du moins lorsque je parviens à me nourrir de la douleur que cela constitue évidemment. C'est cela, la mélancolie, et comme l'a si fortement exprimé Michaël, c'est cette mélancolie, qui nourrit cette colère, qui la nourrit en retour, qui contient et que contient la noèse. La question est de faire en sorte qu'à chaque boucle se poursuive la différance plus tôt que l'indifférance - où il est si facile de se réfugier, y compris dans la contemplation de "la nature", si belle (la nature) et si perverse (la contemplation : c'est ce que dit Baudelaire entrant dans la modernité en son sens). Dans Comment ne pas devenir fou, j'ai raconté qu'au cours d'une discussion avec deux de mes enfants, j'ai exposé ma façon d'aborder la seule question qui soit, c'est à dire la question que contient en elle toute vraie question : celle de la possibilité d'un avenir - dans la modernité de Baudelaire, qui n'est plus du tout celle des Lumières, étant désormais de part en part hantée par la "révolution thermodynamique" qu'ura été la "révolution industrielle". C'est à cette époque, celle du Spleen de Paris (publié en 1869) que Nietzsche se met au travail. Je ne vais pas répéter la teneur de cette conversation, mais je la résume encore. Voici donc grosso modo ce que j'ai dit en 1993 (année de l'ouverture du web) à Barbara et à Julien qui me demandaient pourquoi j'étais parfois si sombre : . Je suis convaincu que nous allons vers une immense catastrophe, et qu'elle peut et doit être évitée. . Tous mes choix de vie sont faits en fonction d'un but : éviter cette catatrophe, à tout prix, lutter contre elle tant que je serai en vie. . Une telle lutte n'est cependant possible qu'à la condition d'être capable d'envisager qu'elle est du seul et strict point de vue des probabilités inéluctablement vouée à échouer. . Il faut la combattre néanmoins et faire en sorte a) soit qu'elle soit effectivement évitée, auquel cas ce combat sera pleinement victorieux, ce qui est cependant extrêmement improbable, et il faudra pour cela (pour cette victoire) avoir considéré cette extrémité comme telle, l'avoir qualifiée, et en avoir fait une "quasi-cause" d'une improbable force; b) soit qu'ayant eu lieu, et comme ruine des lieux, le combat qui aura donc été mené avant qu'elle n'arrive, et pour l'éviter, puisse nourrir après cette catastrophe les capacités de ceux qui vivront après elle, il faut tout faire pour qu'ils puissent alors, au-delà de nos propres vies, de la fin de nos être-pour-la-vie, se nourrir de ce qu'aura été ce combat, et y retrouver la force et le courage de l'engager à nouveau. Je n'ignore pas qu'un tel discours peut être accablant. Et pourtant, je crois qu'il faut être capable de le tenir, comme on tient ou retient à bout de bras quelqu'un qui se noie. Ce n'est qu'à la condition d'être capable d'envisager cela que la question de ce que Derrida appelait la survie est une vraie question pour moi. Je dois vous dire, chère Martine, et chers amis, que j'avais envisagé pourcette académie de parler du prophète Jérémie et de son histoire selon les diverses sources connues, puis j'y ai renoncé. Je tenais moi-même ce discours en 1993 à deux jeunes gens, Julien, qui avait alors 19 ans, et Barbara, qui avait 22 ans. Ils ont à présent, Julien quatre enfants, qui ont entre 3 ans et 19 ans, et Barbara trois enfants, qui ont entre 6 ans et 18 ans. J'ai moi-même deux autres enfants, Augustin, 10 ans bientôt, et Elsa, 17 ans. Barbara et Julien étaient alors en train de devenir des adultes. Ils étaient jeunes, mais ils n'étaient plus des enfants. Et il m'apparaissait être mon devoir de père de leur parler avec bienveillance mais sans détour, quelque terrible qu'ait pu être ce discours. Ce discours, qui est radicalement "pharmacologique", est très difficle à tenir non seulement parce qu'il est foncièrement sombre, mais parce qu'il s'oppose autant aux dénégateurs de la nécessité d'une immense transformation qu'aux dénégateurs de la dangerosité fondamentale de cette transformation. Nous n'avons jamais reparlé de cette conversation, mais Barbara et Julien ne l'ont jamais oubliée. Pour moi, aujourd'hui, en 2016, Barbara et Julien - mais aussi, par exemple, notre ami Simon Lincelles - sont jeunes. Mais en tant qu'adultes, et aux yeux de leurs enfants, ce ne sont plus "des jeunes", mais "des adultes". Que faut-il et que peut-on transmettre à de jeunes parents ou futurs parents qu'ils pourront et devront transmettre à leur enfants dans l'Anthropocène - dont le spleen de Baudelaire est déjà l'expression fêlée - ? Depuis très longtemps, moi qui ai eu tant de mal devenir adulte, et qui ne le suis peut-être jamais vraiment devenu, je pense que ma génération n'a jamais atteint l'âge adulte, et que cependant elle n'est pas du tout "restée jeune" : elle a détruit la jeunesse par son incurie. Elle est très souvent faite de vieux bébés qui me dégoûtent, et pour parler avec Christian parlant avec Kristeva, je les trouve parfois franchement abjects. Tel est le motif le plus vif et le plus douloureux de ma colère - d'autant que je surprend parfois cette abjection en moi-même. C'est pourquoi, lorsque je vois se répéter des scènes que je regarde depuis que j'ai 16 ans (1968) comme affligeantes d'immaturité psychique, politique, intellectuelle, etc., la colère me remonte au nez, et très violemment. La colère est mauvaise conseillère dit-on, et c'est parfaitement vrai. C'est pourquoi elle procède de l'ubris. Mais la colère, qui est si proche de l'ivresse dont parlait Igor, est inévitable, et même indispensable face à ce qui est indigne. Nous vivons depuis longtemps dans l'indignité, et cette indignité est fortement contagieuse, elle provoque la lâcheté, et elle rend impossible l'exercice parfois si pénible de la "vérité" (aletheia) telle qu'elle en passe alors inévitablement par le"dire vrai" (parrêsia). L'aletheia, c'est le point de bifurcation qui doit se produire et qu'il faut provoquer lorsque se prépare une bifurcation à laquelle l'aletheia peut effroyablement faire défaut. L'enjeu de notre absence de discussion, de compréhension et de bienveillance (et je parle d'abord des miennes), c'est cet immense danger. Je ne saurais dire que je suis satisfait que cette discussion ait eu lieu, et comme elle a eu lieu. Ce serait un gros mensonge. Et pour tout dire, j'en ai un peu honte - et en particulier des propos honteux qui ont été tenus sur la honte, faisant de ce concept (pensé avec la shame culture) l'expression parfaite de ce que les premiers philosophes décrivaient comme la rhétorique abjecte de la démagogie qui est la pire ennemie de la noèse en cela. Et pourtant, comme me l'a dit Michaël le lendemain matin, c'était peut-être nécessaire, et donc utile, et non seulemetn utile, mais fécond. Cela, c'est ce qui ne peut se vérifier que dans l'après coup d'un coup, ou de coups. Il faut parfois une certaine violence pour dissiper voire briser des malentendus. Il faut parfois les briser parce qu'ils ont souvent la peau dure. Et il faut alors faire des choix, en particulier dans une période comme celle que nous vivons : la période de la plus extrème urgence et de la plus grande gravité - où le grave, c'est à dire le poids des choses, peut nous attirer vers le fond à jamais : ce fond qui a compromis par exemple tant d'Allemands sincères dès le début des années 1920, et qui, de très bonne foi, s'indignaient de ce qu'ils percevaient comme étant indigne et honteux, jusqu'à ce que ce que leur indignation les conduisit vers ce qui fut la plus grande indignité de toute l'histoire de l'humanité - la complicité dans le pire face à laquelle nous éprouvons tout à fait "la honte d'être un homme". Avant-hier, Patrice est venu me voir et m'a dit "tu sais, ils étaient drôlement tristes, les jeunes, que tu sois passé devant eux et parti sans leur dire au revoir". A vrai dire, je ne sais pas très bien ce que veut dire "les jeunes" à Epineuil. Car à Epineuil, tout se passe pour moi comme si nous avions tous le même âge. Par exemple, lorsque François, qui est si jeune, y parle, ce qu'il y dit et qui est tiré vers l'aletheia par sa parrêsia est sans âge. La "méta-localité" tend toujours et paradoxalement vers ce dépassement de l'âge. Il en va ainsi parce qu'au-delà des relations intergénérationnelles de co-individuation, il se produit parfois - dans la noèse - des réactivations de tourbillons tout droit surgis du transgénérationnel, qui n'a pas d'âge : ainsi en va-t-il du triangle de Thalès, qui n'est ni vieux ni jeune. Là est l'énigme de "l'être", qu'il cependant appréhender plutôt comme celle du temps - en tant que s'y métastabilise du transgénérationnel. Lorsque je me suis adressé aux académiciens d'Epineuil ce 17 août au soir, pour leur présenter aussi le travail si tenace de Simon, c'était à cette commaunté hors d'âge, comme on le dit parfois des alcools également nommés en cela spiritueux. A propos du film de Simon, il me faut ici apporter quelques précisions et corrections d'ailleurs. Comme je l'ai rappelé le 17, après le 14 juillet à Nice, Simon avait émis l'idée de lancer un nouveau Manifeste d'Ars Industrialis. Je n'étais pas très favorable à cette idée. Il ne me smelait pas qu'un nouveu Manifeste répondait à l'extrpeme gravité et à l'extrême urgence dans laquelle s'enfonçait encore plus la France. Et j'ai donc commencé à réfléchir à l'écriture d'un texte qui s'adresserait à la jeunesse, et cela parce que je crois que la situation inique et sans précédent qui lui ait faite est le rsultat essenitel et portentiellement apocalyptique de ce que nus appelons la prolétarisation générlisée. L'idée n'était pas du tout que ce text soit celui de vieux s'adressant aux jeunes. C'était d'en faire un texte d'ars industrialis, et qui, parlant de la nécessité d'une union de la jeunesse, face ux forcces qui ne manqueront pas dans les années qui viennent de la désunir pour la manipuler, affirmait aussi, évidemment, la nécssit" de mobilisertoutes les gnérations pour combattre ce véritable fléau - et cela également en parlantde l'emploi et en ouvrant une nouvelle perspective, qui constitue une proposition positive avant tout our la jeunesse, et donc nous aurions clamé qu'elle devait s'en saisir. Je ne me souviens plus commetn j'ai parlé de cette idée qui m'était venue : j'ai improvisé tout en introduisant le film que de son côté Simon avait fait car SImon fait toujours des choses - et ne se contente pas de parler de choses à faire. Il a par exemple fait cette magnifique série d'émissions avec la radio suisse. Et noua vons regardé son esquisse de film le 17 au soir. Et c'et après cela que Cécile a pris la parole poru dire que ce n'était pas un travil d'artiste, et que ce n'était pas assez fun. Je m'attendias plutôt à un discours sur le fond, et cela m'a en outre rappelé le discours de l'artiste professionnelle Laetitia Masson lorsqu'elle avait ridiculisé le travail des amateurs, ce qui n'était pas très généreux - et dans le cas de cette esquisse que je présentais pour en discuter d'abord l'argument, c'était totalement injuste. C'estainsi que s'est engagée dans mon souvenir cette non discussion, qui sans doute a été provoquée par une présentation confuse, donnant apr exemple croireque ce film s'(adressait lui-même à "la jeunesse", etc.- ce qui n'était évidement pas le cas, même si l'idée de faire un vocabulaire en vidéo diffusé via Youtube ou autrement a aussi cette fonction (et d'abord pourles habitants de Plaine COmmune). uant àla fin de cette terrible soirée, je ne dirai pas pourquoi je suis passé sans dire un mot : je laisse à ce qui étaient là alors y réfléchir. Mais je voudrais dire ce que j'ai répondu à Patrice le surlendemain. Dans les années 1980, j'ai vu un film terrible et immense, tourné en 1977 par Ingmar Bergman, L'œuf du serpent. Quel serpent ? Pour bien voir ce film, il faut le regarder avec Fanny et Alexandre, tourné en 1982, tout en lisant ces mots : Et, en conséquence, regardons-le comme l'embryon d'un serpent qui, à peine éclos, deviendrait malfaisant par nature, et tuons-le dans l'œuf. (Jules César). Le titre du film est donc une évocation de Shakespeare, tout comme Fanny et Alexandre est une "lecture" de Hamlet que Bergman, qui était aussi et peut-être avant tout homme de théâtre, jouait aussi à Stockholm (cf. par exemple http://www.ahds.rhul.ac.uk/ahdscollections/docroot /shakespeare/performancedetails.do?performanceId=11256) ainsi que Après la répétition, un autre film, qui est aussi une pièce de théâtre, autour de laquelle nous avons erré l'an passé, à Tournai, avec Valérie, dans le cadre des Rencontres (inattendues) de la musique et de la philosophie, Après la répétition où il y a un fantôme et où il est question du Songe de Strindberg L'œuf du serpent se passe durant les années qui vont engendrer la montée du nazisme en Allemagne : l'effondrement de la République de Weimar. Il commence par un suicide. Dans le cadre général et l'ambiance qui situent le contexte, comme dit la notice wikipedia (plutôt très bien faite selon moi), Bergman installe le sentiment d'une période trouble, double, étrange, que souligne le jazz d’après-guerre [après la Première Guerre] insouciant qui rappelle les grandes villes européennes et américaines mais qui ici introduit paradoxalement les foules grises, immobiles et ternes du générique de début. Outre que le personnage principal boit sans cesse, on "fait la fête" (que veut dire faire ici ? quelle différance s'y fait-elle, dans la fête ? ou ne s'y fait pas ? quelle indifférance pourrait-elle aussi s'y installer ? dans quel rapport aux circonstances ?), on "fait la fête", donc, dans cette période au cours de laquelle grandit le serpent - celui-là même qui, cependant, viendrait se transfomer sur sa croix en messie si l'on écoute l'apôtre Jean. Que grandisse le serpent veut dire qu'en même temps qu'on fait la fête (c'est à dire qu'on se "saoule la gueule", notamment Abel, qui est Juif), on poursuit les Juifs. Le serpent est intermittemment poison et remède. Voilà ce que n'aura jamais pansé le XXè siècle, malgré tant de grands penseurs. Voilà tout aussi bien ce qui m'a paru demeurer tout à fait inacessible aux "mouvemetns" qui se sont produits au siècle passé et qui se reproduisent ici et là en cet effroyable début du XXIè siècle sans rien changer à cet aveuglement. Bergman insiste sur le contexte de la naissance du « serpent », avec des plans sur les grandes rues vides, la nuit sans éclairage, les quartiers populaires où s'entassent les familles et où sévissent la malnutrition, le chômage, la déflation, l’absence totale de sécurité : la déshumanisation première vient avant tout de cette situation historique exceptionnelle. C'est dans cette société troublée, où « suintent » (selon les mots du narrateur) la dépression et la folie, la misère et le crime, que l’humain, perdu dans la masse, cherche à se libérer, même au prix du plus grand sacrifice, celui de son humanité. Les seuls endroits où la liesse devrait exploser, les cabarets, sont des bouges souterrains où la lumière n’entre pas, où les rapports humains et les atmosphères sont empreints d’un glauque qui unifie tous les espaces, et ce quelle que soit leur ultime finalité : le plaisir du cabaret, l’argent de l’usine, le calme du foyer. La ville elle-même est totalement désorganisée, les lieux de désespoir sont partout ; surtout, les institutions sont devenues des suppôts de corruption sourds à la violence quotidienne. Ainsi Abel, qui a « besoin d'alcool pour dormir », assiste-t-il un soir au lynchage d'un groupe de Juifs, au vu et au su de tous y compris de la police, présente sur les lieux. Plusieurs fois les interlocuteurs d’Abel s’arrêtent sur la consonance juive de son nom : alors que la société tente de se réguler par et pour elle-même, certains se voient désignés comme boucs émissaires de la crise. Comme le dit Abel : « Un poison s’est insinué de toutes parts » : ce poison, c’est la bête qui rôde dans les ruines berlinoises, celle qui naît du coup d’État manqué à Munich, celle qui croît dans la misère et dans la capacité de l’homme à oublier la dignité d’autrui, à oublier également sa capacité de résistance. Quant à moi, en 2016, et après la Nuit debout, dont, dès son apparition (j'étais alors en Chine), je me suis dit qu'elle courait à la répétition de l'éternelle même scène, qui n'est pourtant pas sans âge, qui est au contraire à mes yeux très vieille, et cependant encore tout à fait immature, c'est à dire un peu abjecte, et disant cela, je ne parle pas des gens qui y ont pris part, dont je fais partie, ni d'ailleurs de ceux qui ont tenté de l'orienter, dont Fakir, qui a pourtant sur son "logo" un serpent (de fakir - c'est à dire de charmeur), je ne parle pas des gens, donc, mais de l'événément, quant à cet événement qui aura conduit au non-lieu typique de l'absence d'époque, c'est à dire typique de la dénoétisation, je me suis dit en mars et tout en espérant que je me tromperais ce dont nous avons ensuite parlé avec Benoît, dans une conversation à deux, franche, vive et saine, revenant sur la généricité TAZ etc. Et je me suis dit aussi qu'il allait falloir y revenir pour tenter de trouver une voie, et en faisnat de vraie propositions, tout aussi bien que pour tirer les leçons d'une sorte de bêtise historique, et tisser un rapport fécond dans l'après coup de tant de coups, ce qui aurait pu conduire à un saut dans ce que doit absolument faire l'action collective, c'est à dire la pensée collective, afin de lutter contre la toxicité rampante et serpentine propre à notre temps. Abel, comme l’inspecteur Bauer, comprend au fur et à mesure ce qui se trame dans Berlin, mais lui ne cherche pas à y remédier, à « résister passivement » : il préfère la fuite, vers d'autres emplois et vers d’autres femmes. Sa propre peur, qui est celle de tout un peuple, se matérialise déjà dans ce monde cloîtré qui n'a pour décors que des barreaux de prisons, des grilles, des bruits sourds et lancinants, des arrestations sauvages. Cette peur, pourtant rationnelle, mène progressivement à la mécanisation des êtres et à leur hiérarchisation : elle est le produit, comme l’intolérance croissante, d’une certaine folie que Bergman filme en conclusion au travers d’un savant fou qu’Abel découvre dans la cave de l’hôpital où il travaille, en train de travailler à la création d'une nouvelle race d’hommes, qui résisteraient au manque de sommeil, à l’absence de lumière... On ne comprend rien à ce film cependant si l'on ne sait pas que dans les années 1930-1940 Bergman, encore très jeune, était lui-même pro-nazi et hitlérien (cf http://next.liberation.fr/culture/1999/09/08/bergman-s-explique-sur-ses-annees-naziesle-realisateur-confesse-a-une-journaliste-ses-sympathies-de-_282772). Pour agir, il faut penser. Sinon, on réagit. Et généralement en braillant, y compris contre ces "salauds du FN". C'est à dire qu'on donne corps au ressentiment, que l'on peut toujours habiller des oripeaux de "la fête" - que ce soit celle des "danses bretonnes" (celles que dansaient aussi les Bretons "bretonnants" du Parti national breton, qui, dans les années 40, voyaient dans les nazis des frères celtiques - ce ne sont pas les bonnets rouges, mais…), ou celle de danses qui servent à conjurer le présent, tel le rituel du serpent. Sur ce point très complexe, je suis extrêmement attentif à tout ce que dit François - Corbisier, et non le pape - , qui est toujours longuement et savamment ruminé, sans doute en dansant, et d'une étonnante maturité pour l'un des plus jeunes de mes amis. Comment danser "en temps de détresse" ? Voilà la question. Je ne dis pas qu'il ne le faut pas. Mais je dis qu'il le faut gravement, et certainement pas en invoquant le blabla de la fête - qui ne peut que tourner à cette immense lâcheté dont L'œuf du serpent est le théâtre, et à l'immense tristesse que provoquent tant de fêtes totalement ratées, et pas seulement celle de Noël, dont nous tous ou presque nous plaignons dès lors que nous ne sommes plus des enfants (et je ne revins pas ici sur les rapports entre le Père Noël et Coca Cola, mais je vous recommande d'aller voir Miracle sur la 34è rue qui est un chef d'œuvre de l'Anthropocène - et comme le très festif miroir en abîme de Melancholia : festif en cela que dégoulinant de l'insouciance des "trente glorieuses", mais une insouciance qui est belle et donne à penser, c'est à dire à se soucier). Son père (on échappe rarement aux histoires de famille avec Bergman) était un homme très conservateur. En 1936, Ingmar Bergman, alors âgé de 16 ans, va passer l'été à Haina, en Allemagne, dans le cadre d'un échange d'étudiants. Il se retrouve dans la famille d'un pasteur, père de six enfants. Tous étaient embrigadés sous la bannière nazie, et le clou de l'été fut les journées du parti à Weimar. « En voyant Adolf Hitler, Bergman a été complètement saisi, rapporte Maria-Pia Boëthius. Il n'avait jamais vu dans sa vie une telle manifestation de force. A l'époque, Bergman était adolescent, dans une période plutôt noire et agressive. Le charisme de Hitler a ouvert quelque chose en lui, m'a-t-il dit. Selon ses termes, il électrisait les foules. » Dans la famille de Haina, les enfants faisaient le salut nazi. Et Bergman s'y met aussi. Quant à Fellini, il raconte dans Intervista comment il fut lui aussi un jeune journaliste un peu complice du fascisme mussolinien, comme le fut aussi Roberto Rossellini. Mais la question de la complicité est d'une immense difficulté, où dailleurs il ne faut surtout pas faire revenir la culpabiltié, c'est à dire le ressentiement, et ici, il ne s'agit pas de juger ces hommes (Bergman, Fellini, Rossellini, sinon our saluer le courage qu'ils ont de se retourner vers leurs passés si douloureux), mais les œuvres où eux-mêmes interrogent les enjeux historiques de la complicité, dans tout ce qu'elle a de serpentin et en "bien" et en "mal". Naïf et crédule. Avec la guerre, Bergman se réjouit des victoires allemandes, de leur occupation des voisins danois et norvégien, et se désole de leurs revers. Lui-même se décrit à l'époque comme innocent, naïf et crédule. « Je n'étais en fait pas intéressé par la politique, mais impressionné par l'idéalisme des Allemands. Le nazisme avec lequel je sympathisais me semblait intéressant et adapté aux jeunes. » Il faut se méfier de la naïveté, de la crédulité, de ce qui est "adapté aux jeunes" et d'un "idéalisme enthousisaste" qui nourrit si souvent la bêtise serpentine, y compris du côté de ceux qui prétendent combatte le serpent. La pharmacologie, c'est aussi et d'abord, pratiquement, cette question. D'abord parce que pour théoriser, il faut pratiquement pratiquer un art de vivre - qui nous manque à tous, et structurellement. Moi même, à présent, c'est à dire 23 ans après ma discussion avec Barbara et Julien, et dans la haute proximité de l'imminence d'une catastrophe au moins nationale, dont ceux qui m'effraient le plus sont les dénégateurs, braillards de tous poils aussi bien que "spécialistes" parfaitement adaptés à l'absence d'époque, je me demande comment faire pour qu'il y ait encore malgré tout de la joie de vivre si indispensable et nourrissante pour mes deux plus jeunes enfants, qui ne sont pas encore adultes, Elsa et Augustin, Elsa n'étant cependant plus une enfant (joie de vivre qui est en outre indispensable à toute pensée, si sombre qu'elle puisse être). Elsa est presque adulte, et cela se voit à la manière dont elle prend soin de son petit frère, comme peut le faire avec un enfant quelqu'un qui n'est donc plus enfant. Elever ses enfants, c'est évidemment avant tout leur apporter des motifs de joie, et de cette joie qui ne vient que dans des moments qui ressemblent à la fête, et qui sont des fêtes en eux-mêmes pour ceux qui les vivent (mais non pour ceux qui en sont les témoins : ils n'ont généralement pas les traits caractéristiques de la fête). Quant à cette possibilité de la fête dans une relation de parentalité, elle ne se pose pas de la même façon avec les enfants et avec les jeunes gens qui ne sont plus des enfants, comme je l'ai souligné précédemment à propos du merdier de Noël. La fête a tout à voir avec le jeu, bien que le jeu ne soit pas la fête, ni l'inverse (mais il y a toujouts du jeu dans la fête : la fête donne du jeu, c'est à dire aussi de l'air en cela, c'est à dire de la noèse - de la différance). La fête a aussi tout à voir avec la transgression, et donc avec le sacrifice - car il ne peut y avoir transgression que pour celui qui sait transgresser une limite sacrale et consacrée (par la transindividuation), sinon sacrée. C'est pourquoi beaucoup de fêtes eurent lieu autour de sacrifices humains. Notre époque largement inculte l'a totalement oublié. Elle est aussi dénoétisée en cela. François tourne autour de tout cela, et n'ignore par Warburg. La fête, et le jeu, et ce qui y revient, c'est ce qui sert à faire revenir ce qui y revient, à savoir le grave : Warburg et sa folie, la danse des Hopi pour faire venir l'eau, et avec elle l'éclair, etc. Il faut lire attentivement Le rituel du serpent, et comme récapitulation d'un parcours qui commence à la fin du XIXè siècle en Amérique, à New York, où Warburg dit son dégoût pour l'esthétique et les esthéticiens, puis se rend au Mexique, et qui se termine à Kreuzlingen, et par les soins de Binswanger, le grand panseur du rêve noétique. * Il faut tout faire, comme jamais, pour combattre et éviter la catastrophe - qui terrorisait déjà Warburg, précisément au moment où Bergman grandissait et allait rejoindre les jeunesses hitlériennes. Mais il faut savoir qu'il est totalement improbable que nous y parviendront - sauf à provoquer une véritable bifurcation capable de devenir la quasi cause de ce qui est en train de bifurquer tout seul. C'est ce que je tente de dire aux jeunes adultes qu'en cela je ne prends pas du tout pour des enfants : je les prends très au sérieux. Prendre au sérieux mes amis, jeunes ou non, c'est leur faire le crédit de la méta-localité où ils dépassent chacun et singulièrement les relations intergénérationnelles, et, sans âge, font revenir le transgénérationnel - celui dont j'ai parlé en citant les Evangiles au début de Prendre soin. De la jeunesse et des générations. Tenir cette conduite, qui est ma façon de tenter d'être "digne de ce qui nous arrive", et qui est évidemment une succession de bêtises, c'est à dire d'expériences, c'est énoncer et en cela performativement installer un sens de la gravité qui manque gravement - tel est l'adverbe qu'il nous faut, et je suis frappé de cette expression, "grave", telle qu'elle circule dans la langue "de la jeunesse" depuis un peu moins de trente ans, et telle qu'elle dilue son sens. On dit de nos jours en français à propos de quelqu'un que par exemple on trouve un peu idiot ou problématique "il est grave". Ou encore qu'on a "grave mal", c'est à dire très mal, où grave se confond ainsi avec trop se substituant lui-même à très, autres adverbes. L'adverbialisation de l'absence d'époque est très éloquente. On dit "trop bien" dans une langue qui détruit ainsi, en rampant tel un serpent, les notions d'excès, de mesure et de défaut. Ce n'est pas "la langue du troisième Reich", mais c'est grave. Et au lieu de demander par exemple Qu'est-ce que l'économie contributive ?, tel journal écrit C'est quoi l'économie contributive ? C'est surtout cela que pour moi veut dire "fun". Bien sûr un tel propos est aussi celui d'un homme vieillissant, devenant unpeu intolérant, et fatigué de vivre, qui est "grave" en ce sens. On attribue aux "jeunes" ce qui me fait souffrir dans la décomposition de la langue, mais ce n'est pas du tout mon cas. Elle est la traduction directe de la prolétarisaiton de lafaculté ded parler et elle est systématiquement cultivée comme l'a montré Hazan après Klemperer, quoique pardes voies bien plus sournoises dont nous sommes évidemett tous victimes. La gravité de notre temps, c'est celle des non-rapports intergénérationnels et de la situation de dénoétisation généralisée, dont nous avons commencé à expérimenter les effets mercredi 17 août vers 21h30 heures sous nous-mêmes, et comme ce qui nous arrive, dont il s'agirait donc d'être digne, et qui est à la limite de ce dont il est possible d'être digne puisque la dénoétisaion est précisment ce qui ôte la possibilité de tels sursauts face à la honte - que l'on ne peut énoncer, analyser et tenter de surmonter qu'en pratiquant ce qui ne peut être vécu (de part et d'autre des inter-locutions) que comme une violence, une sorte très spécifique d'ubris, car c'est dire à ceux à qui l'on s'adresse, et que l'on appelle (au secours ce faisant) : vous souffrez de la dénoétisation - comme nous qui vous le disons, mais cela, vous ne pouvez et ne voulez pas l'entendre sauf à faire un saut, précisément, auquel précisémenet nous vous appelons, et comme "minorité" susceptible de l'entendre, c'est à dire comme exception, et au sens où l'a dit Benoît. Si nous disons cela sans commencer par dire que nous souffrons, nous aussi, qui appelons (au secours), de cette dénoétisation, et si nous n'ajoutons pas que la dénoétisation - que nous, en tant que, jeunes ou non, nous reconnaissons nous affecter transgénérationnellement et intergénérationnnellement, et, pour ce qui nous concere, nous qui participons cette académie, comme étant le prix le plus pesant de l'ubris s'exprimanat de nos jours comme le plus grand danger -, et si nous n'ajoutons pas que dis-je que la dénoétisation est d'abord ce qui détruit le transgénérationnel (la noèse) par la destruction de l'intergénérationnel (le marketing, la disruption, etc.), c'est à dire par ce qui est un cas de la prolétarisation, et l'un des plus ignobles, et si, enfin, nous n'apportons pas un élément de clarté positive, à savoir par exemple : arrêtez de chercher un emploi, mettez vous à repenser et à pratiquer le travail, discutez de cela avec vos congénères (jeunes et vieux), sans vous faire avoir par la data economy des plateformes et du "sharing", qui est le leurre que ne peut que provoquer d'abord ce qui serpente avec la rétention tertiaire numérique, et sans mépriser ce serpent numérique, mais tout au contriare en l'trapant par la queue, comme l'Eternel le dit à Moïse, si on ne fait pas tout cela, et bien d'autres choses, alors on ne peut que susciter soi-même la bêtise serpentine. * Quant à l'amitié, il y en a aussi une pharmacologie. Sans amitié (y compris pour "soi-même comme un autre" - mais pour cultiver cela, il faut un autre "autre", qui peut cependant être un livre, lui-même "objet investi d'esprit" et en cela écho de l'amitié transgénérationnelle dont parle Sloterdijk dans sa provocation majeure, Règles pour le parc humain), sans une telle amitié, il n'y a pas de noèse. Mais l'amitié porte toujours en elle et est toujours portée par la possibilité de l'ubris et donc du conflit qui est sa condition aussi bien que de la complicité lâche et molle, de la moiteur et de la trahison, etc. - et cela, souvent, à travers ou depuis un enthousiasme idéalisateur en lequel se déguise ce qui serpente et rampe. L'amitié par excellence, qui est pour moi celle de Bataille et de Blanchot, l'amitié qu'il nous faut face à l'imminence d'une catastrophe en quoi consiste l'Anthropocène, c'est celle qui prend soin de ce serpent, qui le considère, et qui s'en inspire pour muer - pour changer de peau. C'est cela, le serpent de Zarathoustra. Cela demande beaucoup de courage, et dans l'exercice de cette mue, beaucoup d'amis se séparent, et deviennent sinon ennemis, du moins adversaires - à moins qu'ils ne s'ignorent définitivement, et décident de changer de vie, d'histoire, de différance - ou d'indifférance - , etc. L'amitié, c'est souvent ce qui se brise sur ce qui, à partir de la co-individuation en quoi elle consiste, fait passer à la trans-individuation, qui pose des règles, affrontant ainsi un réel qui est toujours et par nature frustrant. C'est cela, "le Réel". L'amitié a cultivé le rêve du surréel, et voilà que, tentant de le réaliser, on bute sur le réel. Alors on se fâche. Ce fut l'un des motifs d'éclatement (la politique) du surrélalisme, entre Breton, Cravan, Eluard, Aragon, Queneau, Bataille et bien d'autres. Et Blanchot part de là. Nous en sommes là. Et c'est là que s'opère une sélection entre vrais amis et faux amis - c'est à dire : que se précise la profondeur des malentendus, la capacité ou non à provoquer des mues, et la solidité des liens - ceux dont nous a parlé Anaïs. * Après la répétition (d'une discussion sur Akim Bey, et les TAZ, et la façons dont elles ont le plus souvent conduit à la dilution de toute politique, c'est à dire de toute critique), vendredi soir, nous avons eu (Caroline et moi) une discussion avec Conrad, son amie Sonia, Valérie et Jean-Claude. Conrad m'a parlé de l'apocalyptisme que combattent Nick et son ami Alex. Je lui ai moi-même parlé d'un film, auquel a participé Pierre Cassou Noguès, et auquel j'ai reproché d'être "apocalyptique" - cependant que j'ai prononcé récemment une conférence ayabrt pour titre Now the apocalypse… Quelles différnce fait-on entre aocalypse et catstrophe dans un monde qui a un rapport au langage si lâche et comment peut-on à la fois se préparer à une catastrophe - en faisant tout ce que l'on croit pouvoir faire, cepndant, pour l'éviter - et dénoncer le catastrophisme contenu dans l'apocalyptisme ambiant (ici il faudrait parler du commentire d'une Sourate du Coran Sur la fin des temps par un prof de l'unviersité d'Istanbul qui est aussi intégriste mais précisément je n'en ai et vus n'en avez sans doute pas le temps) ? Ce que j'appelle ici le catastrophisme (qui n'est pas le "catastrophisme éclairé" de Jean-Pierre Dupuy), c'est ce qui consiste à ne voir dans le serpent que ce qui serpente, sans voir la mue qui s'y produit, et comme une sorte de métamorphose porteuse d'un avenir encore inconcevable, c'est à dire de la birfucation possible vers une nouvelle ère - dans le cercle d'une répétition (du serpent qui se mord la queue) dont Baudelaire parle vingt ans avant Nietzsche. C'est ce catastrophisme avoué ou refoulé et dénié qui dénoétise les "mouvements" depuis des décennies maintenant - du Larzac à la place de la République : qui les empêche de penser un avenir et d'en proposer le projet. Ce que je tente moi-même de faire et de vivre, c'est de rester en équilibre métastable sur la ligne de crête des deux côtés de laquelle se tiennent ces gouffres, la "technophilie" et la "technophobie" qui sont les deux faces du même aveuglement. Qui m'aime me suive. Appelé au secours par le comte de Flandre, Louis de Nevers [Nevers pas très loin de Pigny], incapable de venir à bout de ses sujets révoltés, le roi, qui venait à peine d'être sacré (29 mai 1328), répondit avec enthousiasme, trop heureux d'avoir l'occasion d'une "belle chevauchée". Mais ses barons se montrèrent beaucoup plus froids; ils appréhendaient d'entrer trop tard en campagne et de se trouver sous les armes pendant l'hiver. Le connétable, Gautier de Châtillon, leur fit honte : Qui a bon coeur trouve toujours bon temps pour la bataille. Philippe VI embrassa son connétable pour cette bonne parole et claironna : "Qui m'aime me suive!" Les bons sentiments font la mauvaise littérature écrivit Gide. Tel était le sujet du premier devoir de philosophie que j'aie eu à écrire, en 1979 - à 27 ans, je n'étais déjà plus tout jeune, mais enocre très immature. Je m'y étais attaché (dans ce devoir) à travailler le sens du mot "sentiments" ici, en passant par ce qu'Aristote appelait les pathémata dans sa Rhétorique. Je ne connaissais pas alors Spinoza (dont l'Ethique est avant tout une relecture du Traité de l'âme). Les bons sentiments de nos jours s'expriment parfairement bien par exemple dans article publié par Le Monde disant qu'il faut "croire en nos enfants". Empli de bonnes intentions, cet article qui appartient à une série titrée Réenchanter le monde - cela me rappelle quelque chose… - , qui nous appelle à "permettre aux adolescents d'inventer l'avenir", - ne dit pas un mot de la misère épokhale dont souffre ceux qui appartienent à ce que nous avions appelé dans un autre académie the new grass et surtout ne dit pas une seule fois que ce dont souffre cette "jeunesse" que l'auteure confond d'ailleurs avec des enfants (en lesquels il "faut croire") est une question politique et économique. Alors il est questions de l'invention, de l'innovaiton et de l'imagination des "jeunes". Pour qu'une génération génère son avenir, et cela en particulier depuis le début de l'Anthropocène, qui, comme accélération, dramatise et porte parfois à incandescence la souffrance du double redoublement épokhal (c'est cela l'enjeu des poèmes en prose du Spleen de Paris - tout comme du Raskolnikov de Dostoïevski et de ses Écrits dans un souterrain), il faut que s'établisse un horizon de pensée, c'est à dire un horizon critique, qui s'empare des dynamiques que porte l'exosomatisation, non seulement pour les concrétiser, et comme nouveau stade d'un processus qui a commencé il y a trois millions d'années, et où il y a évidemment d'innombrables bifurcations possibles portés par ce que Leroi-Gourhan appelait les tendances tehcniques, mais pour y constituer des thérapeutiques qui ne sont pas simplement des techniques de soi, voire de simples séances de relaxation (qu'il ne faut évidemment pas mépriser, et je pratique moi-même les courtes siestes de 10 minutes). Ces thérapeutiques sont d'abord des savoirs, et ils appellent des savoirs positifs renouvelés, en particulier comme nouvelles configuration d'une épistémè qui va de l'astrophysique de l'univers à ce qui, en mécanique quantique, prépare un nouvel âge de l'algorithmique. Ces savoirs sont le cœur du malaise précisément en cela qu'ils font défaut. Mobiliser "la jeunesse, dont els jeunes chercheurs, c'est leur offrir ces perspectives comme autnat de défis pour lesquels appeler ltous leurs congénères à les y aider. Réapprendre à vivre, à Epineuil, cela veut dire tout cela, tel que cela peut et doit se projeter, sur ou dans les chorèmes, éphémères ou non, qui se forment autour des agoras et dans les forums, ceux des rues et de ce que voudrait devenir Plaine Commune, tout aussi bien que le "forum" de pharmakon.fr - ou ce que devient cette liste académie 2016. * Nous vivons dans l'extrêmement grave absence d'époque, c'est à dire de gravité, qui nous a conduits à un moment grave dans l'histoire de pharmakon.fr et d'ars indsutrialis, et dont nous nous entretenons à présent - dans l'après coup, et sur un fond d'amitié ébranlé pour les uns, renforcé pour les autres. Aujourd'hui, la question de la gravité se présente à nous par défaut - c'est à dire qu'elle s'absente. C'est cela que tente de penser L'homme sans gravité de Charles Melman. Est-ce qu'il y réussit, c'est une question que je laisse de côté pour le moment, mais nous y reviendrons, avec les amis psychanalystes et psychiatres dont j'ai parlé, c'est-à-dire avec Claude Allione et son épouse, Marie. Ce qu'on appelle la maturité, et plus encore la vieillesse, c'est un certain rapport à la gravité qui passe par une certaine expérience de la vie et de l'invivable ; c'est-à-dire aussi par une expérience de l'archi-protention telle qu'elle se transforme au cours du temps d'une existence, dans un rapport à ce que Heidegger appelle Geschichtlichkeit, qu'il faut lui-même aujourd'hui penser en rapport avec la fin – non pas de l'être pour la fin simplement, c'est-à-dire de l'archi-protention dont je parle souvent avec Heidegger, mais de la flèche du temps telle qu'elle conduit vers une fin totalement indéfinie, interminable, et « effroyablement ancienne », comme dit Blanchot. Toute l'histoire de la noèse est une histoire de cette gravité. Par exemple Newton change radicalement le rapport au grave par sa physique en faisant de la gravité une fonction calculable. A cette couche de la gravité, il faut en ajouter une autre : celle de la gravité incalculable. Tel est l'enjeu du funambule que rencontre Zarathoustra descendant de sa montagne. Ce sens de la gravité, c'est ce qui est absolument détruit par les dénoétisations - telles qu'elles consistent en une exploitation systématique et systémique de la dénégation et du déni de la gravité. Là, il faudrait relire le Levi-Strauss dont je parle depuis quelques années avec Wiener, et pas seulement avec Bataille : avec ce que Wiener écrit dans Cybernétique et société – ce sera l'un des principaux thèmes de L'Avenir du Savoir – à propos de ce que cosntitue la fin dans le devenir entropique. Un des grands fantasmes de l'imaginaire surréaliste, c'est l'apesanteur. C'est pourquoi Binswanger accorde tant d'importance aux rêves de vols. J'appelle ici surréaliste ce qui, capable de rêver, noétiquement doté de la faculté de rêver, est en cela capable de surréaliser son rêve toujours au risque du cauchemar. Alors il se produit une transforamtion de l'apesanteur en poids - c'est à dire en ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue, comme on le dit en citant Winnicott si souvent sans rien y comprendre. Alors commence à se donner à méditer et panser la parole de Nietzsche : amor fati. Baudrillard, quand il écrivait des choses vraiment nécessaires, parlait de ces questions, parfois très bien, en partant d'ailleurs de Simondon. Au XX° siècle, l'apesanteur existe : c'est ce que j'appelle la dénoétisation. Et c'est notre cauchemar. J'ai soutenu, l'année dernière ou l'année d'avant, que l'académie d'été était une machine à se faire des amis - et je maintiens cela plus que jamais. Mais les amis sont ceux qui doivent partager une certaine méta-localité de la pesanteur, du poids du monde tel qu'il est et tel qu'il devrait être, car ce poids est foncièrement pharmacologique, ce qui veut dire aussi, dans notre absence d'époque, que, à la fois : . Quand le monde n'a aucun poids, la vie ne vaut pas la peine d'être vécue. . Quand le monde a du poids, il est devenu écrasant. Nous "vivons" cette invivable intermittence. C'est à dire que nous ne vivons ni bien ni mieux - je le dis à Jean Frémieux. Pour le dire dans le langage si puissant de Gilles Châtelet, nous vivons et pensons comme des porcs. Pour terminer quant à l'histoire de l'appel à la jeunesse qui était d'ailleurs, simplement, une hypothèse visant à provoquer une discussion, d'abord à l'académie puis à ars industrialis – et là j'ai évidemment commis une grave erreur que mes amis d'ars industrialis ont eu la gentillesse de ne pas me reprocher : il eût fallu faire l'inverse, ce qui aurait permis de délibérer, plutôt que de lancer une sorte de sonde, étant donné que s'est glissée dans cette hypothèse devenue sonde la question « Que penser de Nuit Debout et de tout ce dont cela procède », cela a fortement fait dévier la trajectoire de la sonde. Quant à cet appel, j'en maintiens sinon la possibilité, du moins la nécessité : si ce n'est pas possible, c'est pourtant nécessaire. Ce n'est pas possible dans la machine à se faire des amis « qui dysfonctionne comme il se doit », eût peut-être ajouté Guattari en commençant par s'en réjouir pour pouvoir ensuite y réfléchir. C'est du moins ce qu'en a conclu Paolo. Lors de la réunion d'AI qui s'est tenue jeudi matin, j'ai redis ce que j'avais soumis à la réflexion du conseil d'administration 10 mois plus tôt, à savoir que pour nous, qui nous battons, et en pariant sur la patience, et c'est pour cela que le projet de Plaine Commune est pour dix ans sinon rien, peut-être devons nous intégrer - et faire nos choix à partir de là - le fait que ce qui se prépare en France en 2017 à travers les élections va produire un invivable niveau de dénoétisation, à un point tel qu'il nous faudrait d'emblée nous projeter après, lorsque la catastrophe dont on ne connaît pas encore l'ampleur aura eu lieu, autour de 2025 peut-être, moment où nous pourrons peut-être affirmer encore ce qui alors deviendra plus clair - inch'Allah. L'académie d'été, pharmakon.fr, Ars Industrialis, Plaine Commune, ce ne sont pas des dispositifs qui sont là pour mettre les gamins au lit et leur dire « Au dodo, bonne nuit, faites de beaux rêves, on s'occupe de vous. » Ce n'est vraiment pas fait pour ça du tout : nous ne sommes pas là pour materner ou paterner la jeunesse. Ceux qui sont là ont des âges divers, mais ils se projettent au-delà des générations, ce qui ne les empêche pas, bien au contraire, ni de se soucier des générations, ni de témoigner de ce qui constitue le temps de leurs existences, et donc de leurs âges. Du moins est-ce ainsi que je m'adresse aux personnes qui y viennent, et qui sont en cela des amis. Il en va ainsi parce qu'on s'y préoccupe de ce qui, dans la jeunesse, dépasse la jeunesse aussi bien que la vieillesse, et qui est l'enfance noétique : la noèse est toujours une renaissance, c'est à dire une venue au monde, et la possibilité d'un recommencement anamnésique de l'accès à la métalocalité. L'académie d'été et les dispositifs qu'elle accompagne sont là pour interroger la destruction de la transgénération, du transgénérationnel et de l'intergénérationnel en les projetant non pas sur le terrain lénifiant de la "croyance dans nos enfants", mais sur celui de ce que met en scène L'œuf du serpent regardé à partir de l'interview d'Ingmar Bergman, et avec des "jeunes" que l'on prend au sérieux, c'est à dire auquel on parle comme aux adultes qu'ils sont. Ce que nous dit Bergman, c'est qu'il lui est arrivé, et à son frère bien plus encore qu'à lui, puisqu'il fut un chef du parti nazi suédois pourchassant les Juifs, il est arrivé donc à Bergman d'avoir été fasciné et enthousiasmé par le charisme d'Adolf Hitler. Il arrive aujourd'hui à la jeunesse, une partie de la jeunesse, une toute petite partie de la jeunesse, mais cela affecte la jeunesse dans son entier, c'est à dire la noèse dans son entier, parce que c'est une question épokhale ou précisément non-épokhâle, il arrive donc la jeunesse (et à ce qui parfois s'y maintient chez des gens dits "vieux", et comme conséquence de ce que l'on pourrait appeler une pharmacologie de la jeunesse éternelle, telle celle de Gilles Le Guen, officier de marine de 60 ans), il lui arrive d'être fasciné par Daech, et donc par le meurtre, et par le sacrifice entendu en ce sens, où il faut qu'il y ait du sang et des morts, y compris et même d'abord et fondamentalement comme suicide. Comment être digne de ce qui nous arrive ainsi tout en arrrivant ainsi à "la jeunesse" ? Face à cette extraordinaire déréliction, et si nous avons pu, nous, "les vieux", et ici, il ne s'agit plus de vous, "les jeunes" de l'académie, qui êtes adultes, mais pas vieux, et votre jeunesse est trop jeune pour porter ce poids des adultes désormais vieux, même si, tout à l'inverse, vous avez la responsabilité de redonner à ce poids sa gravité, si nous, les désormais vieux, donc, avons pu ainsi abandonner la jeunesse, c'est parce que nous-mêmes avons été abandonnés – non pas par Dieu, en tout cas pas pour moi, puisque je ne crois pas en Dieu, mais tels que nous vivons cet abandon qu'est la dénoétisation, nous tous, nous les vieux et vous les jeunes adultes avec lesquels à l'académie nous disons Nous - mais pas à n'importe quelles conditions. Nous allons être tous ensemble confrontés à une terrifiante aggravation de cette situation si rien ne se produit de fondamentalement nouveau - si aucune affirmation absolument bifurquante n'est capable d'enrayer cette machine infernale que peut devenir d'ailleurs aussi une machine à se faire des amis : cette machine, c'est aussi celle d'un certain enthousiasme – que critique Emmanuel Kant (Le conflit des facultés), mais dont il fait cependant une condition de l'histoire, que critique également Platon ou Socrate dans Ion – qui serait donc la condition des grands événements historiques tels que parfois ils produisent une grande bifurcation noétique ; mais tels que très souvent – et je dirai la plupart du temps – parce qu'ils procèdent aussi de ce que John Ford décrit régulièrement, et qui peut tourner à la Terreur – à savoir par exemple : une foule de pionniers du Far West qui pend un innocent sans le moindre jugement, par pur mimétisme, démagogie et jouissance pulsionnelle que recherchent tous les braillards enclins à se vautrer dans la fange. De tels enthousiasmes absolument pulsionnels, barbares et agressifs peuvent conduire notamment à travers la jeunesse à ce qui a pu devenir par exemple en Allemagne les Jeunesses Hitlériennes. Ma chère Martine, je ne suis pas là pour soigner le doudou de tout un chacun : je soigne plutôt la nécessité du doudou. Mais moi-même, je ne suis ni la maman qui cherche le doudou, ni le doudou. Je pense que pour beaucoup de gens, et en particulier pour toi, ce que j'ai répondu à “ la jeunesse” qui était présente n'était pas très généreux, et semblait contredire de fait la générosité que l'on m'attribue parfois, ainsi qu'à Caroline, en accueillant tout ce monde-là au moulin. Ce qu'on appelle ainsi généreusement ma “générosité ” – mot qui vient de genre, génération, engendrement, génération, et qui à tout à voir avec l'inter-génération et la trans-génération, ainsi qu'avec la dégénération, mot interdit par les belles âmes de la fin du nihilisme et du non savoir absolu – , cela repose sur un certain sens de l'hospitalité. A cet égard il faut toujours rappeler qu'elle est toujours payée de retour, et que c'est pour cela qu'elle a lieu - et donne lieu, parfois, "chorématiquement". Ici, le sens de l'hospitalité n'est pas simplement celui de l'hôte qui reçoit : c'est aussi celui de ce qu'on appelle également l'hôte, et qui celui - ou celle - qui est reçu. Notre sens de l'hospitalité ne passe pas simplement par les bonnes lentilles au hareng fumé et le Curry indien formidablement préparé par Caroline et son incroyable générosité. Il passe aussi par ce que nous essayons de développer comme une générosité noétique très exigeante où, de la même manière que nous ne sommes pas du tout contents quand le curry n'est pas correctement préparé, nous n'aimons pas faire des plats noétiques ratés, ni les donner à manger à la façon de ceux qui sont poussés à vivre et penser comme des porcs. L'immense danger d'un tel propos – je n'en suis pas tout à fait inconscient – c'est évidemment qu'il risque de détruire ce à quoi je crois que Paul-Émile tient plus qu'à tout à Epineuil comme ailleurs : la générosité telle qu'elle est capable d'accueillir les affamés que nous sommes tous devenus, du fait du désapprentissage, lequel nous a presque désappris à manger - et à exercer ce qu'avec Spinoza on peut appeler les manières (voir ce qu'en dit Lordon). Telle est bien la question. Mais à cela, il y a des conditions de possibilité et d'impossibilité par rapport auxquelles il faut être sans concession, faute de quoi la complicité noétique, qui est cultivée par l'amitié, devient la complicité de ce qui peut conduire au pire, la complicité de ceux qui partagent dans leur autocongratulation une lâcheté qui, de très, très bonne foi, s'abandonne à l'abandon. Il eût été la pire des lâchetés de ma part de ne aps provoquer une discussion sur Nuit debout, si risquée qu'elle pût être. Sur cette pharmacoogie de la complicité, je joins à cet envoi le texte d'une conférence que j'ai présentée au Luxembourg durant un colloque consacré à l'amitié (en 2010 ou 2011) et qui est adressé à Jean-Luc Nancy. Quant au partage, puisque il est aussi et peut-être surtout question de cela dans votre message, jevais y revenir. Bon courage. Amicalement, BS De : Martine d'Orgeval <[email protected]> Date : vendredi 19 août 2016 13:36 À : Bernard Stiegler <[email protected]>, Bernard Stiegler <[email protected]> Objet : Amitié avec ou sans partage ? Cher Bernard, Merci pour l’Académie d’été 2016, qui va me donner à penser, et m’aider à réapprendre à vivre. Je suis repartie néanmoins d’Epineuil avec un chagrin d’amitié collective, avec le sentiment que l’académie n’est pas finie, ou plutôt qu’elle ne s’est pas close le 17 août. Je vous propose d’en dire mon interprétation personnelle de psychosociologue, ce qui me permettra de partager aussi ce chagrin avec vous. En préalable, le « parcours de reconnaissance » (selon le Littré rappelé par Ricoeur, lui-même rappelé par Paul-Emile pendant cette académie) pose qu’on « saisit un objet par l’esprit », qu’on « l’accepte et le tienne pour vrai, » et enfin qu’on « témoigne par de la gratitude que l’on est redevable envers quelqu’un… » J’étais au départ ce soir-là émue et enthousiaste, avec l’élu belge -dont je ne sais plus le nom, pardon-, avec Olivier Landau, du passage à l’acte politique que présentait votre futur appel à la jeunesse. Ensuite, les doutes et les désarrois des moins de cinquante ans, leur fuite, et l’impossibilité d’arriver à se séparer joyeusement, je les ai partagés, et entendus à plusieurs niveaux . Cet échange de 3 jours n’a pas pu être ponctué (au sens de Palo Alto) par un rituel de fin. Qui sommes-nous les uns pour les autres en repartant ? Je me suis associée aux les échanges d’après minuit et du lendemain avec la classe des « djeunes » , si l’on veut les appeler ainsi... A ce que j’en ai compris, votre appel à la jeunesse passait au-dessus de ceux présents - dont plusieurs avaient été semoncés par vous la veille, pour leur attachement semble-t-il romantique et stérile à la Nuit Debout -. L’appel en question ne les incluait pas dans son émission, car eux n’avaient pas de place avec Bernard Stiegler dans ce processus. Etaient-ils encore exonérés de la co-responsabilité d’adulte ? Ils avaient cru être consultés, il n’avaient pas leur mot à dire. Etaient-ils discrédités ? Nous cherchions à formuler un signe de reconnaissance de cette douleur, dont celle de dire adieu à l’état extatique de l’académie d’avant. Ils me paraissaient figés dans la nostalgie – ou baignés dans un moment de mélancolie, eux qui ont par ailleurs montré d’été en été la ferveur de leur présence, leur force d’enthousiasme, l’investissement du travail de leur pensée, leur désir de partage, leur souci de construire l’à venir. Or, le mouvement de mobilisation que vous inspirez avec Caroline, Ars Industrialis, l’IRI, le séminaire pharmakon, le public de vos conférences, cours et interventions, vos lecteurs - des groupes imbriqués, complexes- ce mouvement me semble affecté cette année d’une transformation nécessaire et souhaitable vers l’action politique, à mettre en œuvre à Plaine Commune dès Septembre. La pensée militante va tout-à-coup s’incarner dans la praxis territoriale, nous en sommes impatients et nous en avons peur. Va-t-on disparaître, éclater dans ce saut vertigineux ? ou pire en être dissous, exclus ? Qui sera acteur, figurant, spectateur sur cette grande scène ? En serons-nous dignes ? Les fantasmes, les rêves et les cauchemars, vous ai-je déjà entendu dire, sont à prendre au sérieux, ils sont réalisables. Un simple signe de vous, un acte symbolique congruent pourrait restaurer ce rituel d’au revoir, rétablir, qui sait ? le lien de reconnaissance et de réassurance qu’on a cru rompu. Adressé à tous les participants de l‘académie. Montrant que vous les entendez, que vous vous souciez d’eux, et de leur contribution à l’avenir. Ce que je vous écris n’engage que moi, et m’a demandé beaucoup de courage. Croyez en ma fidélité et mon souhait de contribution active à Plaine Commune, Martine d'Orgeval
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